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Le jury à la barre des accusés ! (?)

D’abord, un rappel sur les fondements du slam

Le Slam de poésie n’est pas un genre de poésie, ni même une forme ou un style…
Nous l’avons vu précédemment, le Slam est un cadre, qui présente la poésie – et qui pose les poètes – dans une situation inusitée : la compétition. Et à la fin de chaque partie il y a un gagnant.

Et celle-ci ne repose pas sur des textes envoyés par la poste et que liront des juges dans la tranquillité de leur foyer. Mais plutôt sur la prestation qu’on en fait, avec la fébrilité de la scène devant public. Bien qu’à la base il y ait un travail littéraire, celui-ci assume pleinement son appartenance aux arts de la scène.

 

Qui plus est, le slameur n’est pas jugé par des pairs ou des spécialistes, mais par un jury constitué de gens spécialement puisés dans la salle pour représenter le public. Je dirais même : le «Grand public».

 

Je crois qu’on peut dire que ce qui a motivé Marc Kelly Smith*, le fondateur du Poetry Slam, (vers 1985, à Chicago), c’est la volonté de dynamiser les soirées de poésie, ou l’on rate généralement l’occasion de «développer un nouveau public». C’est lors de telles soirées que l’on devrait, plus qu’ailleurs, donner le goût de la poésie à toute une portion de la population dont elle s’était aliénée.

 

En tout cas, cela s’oppose assez bien à la tendance qu’a la poésie à devenir de plus en plus hermétique – à force de recherche de fond. D’autant que cette tendance, se trouve alourdie d’un certain laxisme de la part de trop de poètes quant à la façon qu’ils livrent oralement et scéniquement leurs poèmes. Prenons note : aussi hermétique pouvait être la poésie de Claude Gauvreau, par exemple, il ne se contentait pas de mâchouiller les mots tout en se tenant trop loin du micro lorsqu’il la disait. Il s’était préparé, il était concentré et il était bien présent sur scène.


Donc l’idée de métamorphoser ces soirées de « lectures » de poésie en de véritables matchs – avec des règles établies et des points qui sont de surcroît octroyés par le public –, s’est avérée hautement gagnante : elle force ces praticiens à déployer les forces propres aux arts de la scène.


De plus, la dynamique est non seulement modifiée, mais elle se retrouve littéralement inversée : le maître n’est plus le poète s’imposant à un public qui, pour ne pas se faire traiter d’ignare, doit chercher à « percer » son œuvre ; en Slam de poésie, c’est le public qui est maître et le poète doit lui présenter une poésie vivante, chercher à lui plaire, si ce n’est à le toucher, l’émouvoir, le provoquer ou le troubler, etc.

Si, durant les premières années, l’ensemble des spectateurs participait au pointage des poètes et bénéficiait d’un peu trop de latitude, le principe d’un jury formé de cinq personnes choisies parmi les spectateurs pour les représenter, s’est rapidement imposé…

Pour faire image, je dirais qu’il n’y avait pas non plus intérêt à ce que ces soirées se transforment en « Gong Show », où l’on expulsait les participants à la chaîne, pour se délecter de leur humiliation… L’idée, visait à présenter la poésie oralement, et dans ses meilleurs atours, afin de créer une situation générant l’enthousiasme à son sujet.

Voilà pour ce qui préside à la naissance puis à la présentation du Slam de poésie. Maintenant…
 

Pourquoi un jury formé de personnes sélectionnées dans le public ?

J’entends parfois des commentaires de la part de slameurs au sujet des jurys, à l’effet qu’on préférerait avoir des personnes qualifiées pour accorder les points, plutôt qu’un échantillon choisi aléatoirement afin de représenter l’ensemble des spectateurs présents. Certains avancent le compromis de deux ou un seul juge permanent, qui revient chaque mois.

Quelques-uns tentent l’expérience avec des juges prétendument plus «pertinents » (diraient-ils ?). Ils peuvent baptiser leur activité du nom qu’ils veulent, ils ne pourraient pas, s’ils maintiennent cette particularité, participer à la ligue de slam, qu’elle soit québécoise, canadienne, américaine, française ou internationale.

L’essence même du « Poetry Slam », qu’on appelle en français, ici, « Slam de poésie », consiste justement à soumettre les poètes aux goûts populaires, ceux des spectateurs venus assistés à la joute. Vous vous souvenez, l’inversion dont je parlais plus haut : les spectateurs deviennent les maîtres. Que le jury soit formé par des gens sélectionnés parmi les spectateurs pour les représenter s’avère être le strict minimum.

Et ne parlons pas de l’effet de « clique » qu’entraîne indubitablement le fait de sélectionner – à la va-vite comme on peut – les juges parmi une « élite » de nos connaissances. Petit train-train chao-tidien.
 

Aléatoire. Aléatoire comment, le jury ?

Le bon coup qu’a réservé à la poésie l’inventeur du Slam, Marc Kelly Smith consiste à prêter aux soirées de poésie le contexte des concours artistiques populaires – comme l’a fait pour le théâtre la Ligue Nationale d’Improvisation, quelques années auparavant.
 

Toute la magie du Slam, on l’a vu plus haut, repose sur cette inversion : le maître du jeu n’est plus le poète s’imposant à un public, c’est le public qui est maître et cela n’est pas anodin : le micro est accordé aux poètes, mais c’est au public qu’appartient le vote ! Voilà un des éléments essentiels à l’apport du Slam de poésie. Et qu’il faut préserver. Or, un vote de la part de tous les spectateurs est inapplicable. L’option de recourir à un jury formé de cinq personnes pour représenter le public s’est donc imposé.

 

On dit généralement en Slam que les membres du jury sont choisis aléatoirement. Mais il y a aléatoire et aléatoire. Si l’on souhaite appliquer un « aléatoire méthodique », on organisera carrément un tirage. Mais ça deviendrait fastidieux étant donné que les gens doivent être libres d’accepter ou non d’accepter ce rôle et ils doivent être disponibles tout au long du match. Ou encore, on peut préférer laisser couler un aléatoire du « aller au plus simple et vite », ce qui risque d’orienter fortement la formation du jury vers les gens que connaît le slammestre (ou la personne en charge de recruter le jury), de le marginaliser, et de s’éloigner du but visé : représenter les spectateurs présents.
 

Aléatoire pour aléatoire, ici à Québec j’ai préféré proposer aux juges de ligne (au pointage et chronomètre) de constituer un jury qui soit représentatif de la variété qu’on retrouve chez les spectateurs. Si nous avons un public constitué majoritairement en bas de 35 ans, nous essaierons donc d’en avoir trois dans le jury. Les deux autres seront âgés de 35 et plus. Nous essaierons aussi d’avoir autant de femmes que d’hommes… Nous prenons parfois un couple, ou deux amis venus ensemble, mais pas plus, afin d’éviter trop d’homogénéité.
Par ailleurs, n’oublions pas que les gens qui consentent à se prêter au rôle de juge font partie des spectateurs : ils sont venus pour avoir du plaisir, alors il ne faut pas le leur gâcher.

 

Doit-on préserver l’innocence du jury ?

 

Rappelons d’abord que le Slam de poésie propose au public un cadre électrisant pour la poésie, dont la dynamique repose sur la compétition. De plus, cinq personnes choisies parmi les spectateurs se retrouvent impliqués dans le jeu, puisqu’elles décident du gagnant par l’entremise des points qu’elles octroient aux slameurs.
 

Le mot « innocent », dans le Petit Robert, comporte diverses acceptions. Notamment celles 1- d’être reconnu non coupable (après avoir été soupçonné) ; ainsi que 2- de faire preuve de candeur ou de naïveté (d’ignorer certaines réalités, disposant le sujet à se faire abuser) ; et, finalement, 3- d’être niais, idiot. Cette dernière s’avère particulièrement usitée au Québec.

Alors, doit-on préserver l’innocence des juges relativement à la poésie et à certains phénomènes propres à ce genre de spectacles ou bien, au contraire les préparer dans le but d’éclairer les jugements qu’ils porteront tout au long de la joute ?

Un Slam de poésie n’est pas une sorte de « concours d’Elvis », ni une version parlée et a capella de La Voix ou autre Star académie !
Peut-être davantage que les poètes – slameurs – , ce qui est en jeu dans un Slam de poésie, c’est la poésie elle-même.

Étant donné que nous prétendons que le Slam peut servir à rendre la poésie accessible à tous, il est préférable selon moi (et SLAM cap) de fournir les outils aux gens (à plus forte raison les juges) pour départir le côté show-business de celui de la poésie. Car, enfin, ne prenons pas les gens pour des innocents (idiots) et saisissons plutôt l’occasion ainsi accordée de les sensibiliser tant soi peu à la poésie ainsi qu’au contexte particulier où elle leur sera présentée…

Par ailleurs, il ne s’agit plus simplement d’assister à un spectacle de qualité. En s’impliquant personnellement, les membres du jury vivent une véritable expérience. La situation dans laquelle ils se trouvent dépasse largement le simple fait de donner des points. De façon tacite, ils sont évalués à leur tour par tous les autres, tout au long de la joute : tant par les slameurs que par les spectateurs qu’ils représentent. Qui plus est, l’assistance est conviée à réagir aux pointages octroyés par les juges.

Le cadre compétitif implique un enjeu, pour les slameurs qui se prêtent au jeu ; il dépend de la présence des spectateurs venus passés un bon moment et qui demeurent simplement témoins du jeu ; il exige l’implication de cinq spectateurs qui acceptent de jouer le rôle des juges ; et, finalement, il nécessite l’animation et l’arbitrage d’un slammestre, secondé par un juge de ligne (au chronomètre et au comptage des points), pour la bonne marche du jeu et voir au respect des règlements et procédures qui le définissent. De ce cadre, découle des rôles différents, occupés par les gens en présence, dans une grande mise au jeu. Avec l’effet d’une sorte de zoom avant sur nos relations interpersonnelles en société. Si le slammestre prend la peine d’avoir une petite rencontre avec les membres du jury, afin de les préparer à l’expérience qu’ils vont vivre, il est évident que celle-ci s’avèrera beaucoup plus profitable pour eux, leur évitant de vivre quelques désagréments. Je l’ai déjà écrit plus haut : les juges sont d’abord des spectateurs venus pour avoir du plaisir, ne le leur gâchons pas.

 

Ce texte (incluant le «Supplément» qui suit) est la refonte de quatre bulletins qui furent publiés pour la première fois sur le blogue SLAM cap dans les mois d’avril et de mai 2009.
 

[Supplément]

En quoi et comment « préparer » le jury ?

Le contenu qui suit s’adresse surtout à ceux qui organisent ou se préparent à organiser des Slams de poésie, il s’avérera non seulement intéressant, mais également utile ; ou encore suscitera réflexions et débats.

 

Quant aux slameurs de Québec, ils auront par la même occasion accès à ce qui je dis aux juges lors de notre petit caucus avant le match.

Cette transparence me semble souhaitable, car un échange quant aux pratiques locales en la matière, devrait être bénéfique au monde du Slam puisque ça devrait permettre une amélioration de ces pratiques. Je vous dévoile ici l’approche que j’ai développée pour SLAM cap depuis 2007.

 

Entendu que le jury change à chaque joute, puisqu’il est composé de cinq spectateurs choisis dans l’assistance, le slammestre doit répéter les consignes à chaque nouvelle partie. Deux voies se présentent alors à lui, il peut transmettre les informations :

1- De façon individuelle, lors de leur recrutement. Ce qui, selon moi, comporte quelques inconvénients de taille. Ce procédé individualisé oblige à schématiser les consignes d’une part et, d’autre part, entraîne inévitablement quelques disparités quant à la quantité et à la qualité des informations transmises à chacun des juges. Par ailleurs, si le slammestre concède deux minutes d’explications à chaque slameur, cela représente en moyenne seize minutes.

 

2- De façon collective, c’est-à-dire qu’on réunit les membres du jury, en aparté, afin de leur divulguer les consignes tous ensemble. Le tout peut prendre de cinq à dix minutes (selon les questions et interventions de chacun). D’aucuns y voient l’inconvénient que cela a pour effet de séparer ces cinq personnes de leurs amis respectifs durant quelques minutes.

 

Personnellement, je préfère la deuxième option. À mon avis, l’inconvénient qu’on lui impute relève d’une crainte non fondée. Au contraire, le fait de réunir ces spectateurs (qui partageront la responsabilité du jugement des slameurs), dans un lieu à part durant quelques minutes, constitue en soi un acte de reconnaissance quant à l’importance du rôle qu’ils tiendront dans le jeu et, du coup,  lui confère une certaine officialité, ce qui n’est pas sans déplaire à ceux-là même qui ont accepté de se prêter au jeu. Il s’agit de demeurer bref et d’éviter d’être envahissant. Notamment, il faut que, tout au long du match, les juges puissent se retrouver assis avec leurs amis.

 

 

Consignes aux membres du jury, lors du petit caucus avant le match.

– Vous êtes là pour le plaisir, on ne veut pas vous le gâcher.

– C’est pourquoi on ne vous demandera pas de vous baser sur une grille d’analyse savante… vous êtes là comme échantillon représentatif du public…

– Donnez les points en fonction du plaisir que vous éprouvez  personnellement (coup de cœur). Essayez d’évaluer ce que vaudrait en points, votre goût d’applaudir (plus ou moins fort).

– Évaluer chaque slameur sur une échelle de 0 à 10 pts. Je vous recommande d’être généreux.

Par exemple, les slams que vous trouveriez mauvais (mais il ne devrait pas y en avoir), donnez-leur dans les 6. Car le public est convié à réagir et, pour supporter émotivement le slameur, il aura tendance à vous huer.

À l’inverse, je vous recommande aussi la prudence quant au score parfait. Rien n’est parfait dans le monde, si ce n’est relativement. Vous êtes bien entendu totalement libre de donner un 10 au slameur de votre choix… Mais si le suivant est encore meilleur selon votre goût, vous ne pourrez lui donner davantage. Je vous invite à considérer la perfection comme flottante entre les 9,5 et 10 pts. Évidemment, le jeu sera serré, mais il est facilité par la possibilité d’user des fractions (8,2 ; ou 7,9 ; ou 9,5 ; etc. Puis, ne mettez pas plus d’une décimale par point, mes petits ratoureux! Exemple : 9,2 pts et non 9,234 pts)

– Ne vous laissez pas influencer par les autres (public et autres juges).

– Essayez d’être conséquent dans les points que vous donnez…

Une tendance est remarquable dans le monde du spectacle : plus la soirée avance, plus les spectateurs sont réchauffés et apprécient. Lors d’une joute où des points sont attribués, c’est une réalité cruelle qui pénalise les premiers slameurs et profitent aux derniers. C’est pourquoi on détermine au hasard l’ordre de passage; c’est pour cela également qu’il y a un «slam sacrifié» (à Québec on dit «slamikaze»). Mais en étant conscient de ce phénomène, vous pouvez tenter de relativiser les pointages que vous donnez. En somme, ne soyez pas trop sévère avec les premiers convoqués.

– Ne prenez pas en considération les règlements du Slam de poésie (durée, accessoires, costumes, etc)… Mesurez simplement votre plaisir. Les officiels (slammestre et juge de ligne) s’occupent d’appliquer les pénalités prévues sur le pointage que vous donnez…

– Ne prenez pas en considération des éléments externes… Exemple, n’ajoutez pas (ou n’enlevez pas) de points en fonction que le slameur ait appris son texte par cœur. Ça ne doit pas être considéré comme élément à part, c’est-à-dire que si cela octroie un surplus qualitatif à la prestation, vous ne manquerez pas de l’apprécier d’autant et de lui accorder un pointage en conséquence. Inutile, donc, de pénaliser doublement les autres.

– Avez-vous des questions ?

 

À noter : je transmets d’habitude les consignes oralement, à partir d’un canevas. C’est ce canevas que j’ai adapté ici.

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